• Je n’aime pas le prononcer pour me présenter, je n’aime pas sortir l’assemblage de ces cinq lettres de ma bouche.

    Je n’aime pas mon prénom et puis c’est tout. Trop de gens me disent : « Oh, mais il est très beau ton prénom, moi j’aime beaucoup ».

    Mais moi non...

    Ce n’est pas une question de beauté, c’est ce qu’il a représenté pendant des années pour moi, un boulet à trainer dès ma plus tendre enfance.

    Les gens se sont appropriés mon prénom, m’imposant sa prononciation, leurs moqueries, même sa signification…

    Alors voilà, je m’appelle Asmae. 

     

    Je n'aime pas mon prénom...

     

    Au Cours Préparatoire : le CP

    J’avais ce qu’on appelle une vielle peau (ou « morue » pour les intimes) comme maitresse. Premier jour d’école de ma vie, elle fait l’appel en lisant sa liste et puis bloque (ce « blocage » m’a suivi toute ma vie scolaire), et dit :

    -Azemaé, c’est comme ça que ça se dit ?

    -Non madame, On dit : Asma et le E ne se prononce pas.

    -Tu ne sais même pas prononcer ton prénom, j’ai connu un garçon qui avait le même prénom et il se dit comme ça. Moi, je t’appellerai Azemaé.

    Véridique, cette truie m’a vraiment dit ça et m’a appelé comme ça pendant un an.

     

    Ma vie scolaire, fac et après :

    Ponctuée par cette interminable explication : Asma mais le E ne se prononce pas. En plus, il fallait que je me justifie sur le E : «Ben, si le E se prononce, donc c’est bien Asmaé »

    -Non, pour Marie tu ne dis pas MariÉ.

    -C’est pas pareil.

    -C’est quoi la différente, elle c’est une sainte et moi, je suis la copine du diable ?

     

    Cours de SVT au collège avec les termes placenta et plasma : A chaque fois que le prof sortait un de ces termes, j’avais droit à des rires étouffés et des regards dans le coin.

    La blague aussi : Monsieur et Madame Tic ont une fille, comment s’appelle-t-elle ?

    Réponse : Asmae parce que asthmatique.

    Mort de rire … en plus vu que je ne rigolais pas, on me disait que c’était pourtant super marrant mais bon, cette blague, je l’ai entendu au moins deux fois par jour pendant dix ans. J’avoue que l’effet MDR avait vite disparu.

     

    Mon prénom balançait avec soit un H ou un Rh. Je crois que c’est ce que je détestais le plus. A chaque fois qu’une personne me faisait le coup, heu… comment dire… Simple, je m’imaginais lui mettre un uppercut dans la mouille, suivi de kick puis mise au sol pour finir avec cette fameuse prise de catch où tu lui sautes  dessus avec le coude en avant.

     

    Il y avait aussi ces gens persuadés que mon prénom veut dire « écoute ». Ils sont gentils mais non, cela ne  signifie pas : « écoute ». Pour la simple et bonne raison que ceux sont deux mots écrits différemment. Et ben là, j’avais droit à une sacrée démonstration digne de la scène de la couscoussière dans « les sous-doués passent le bac ». Avec eux j’avais le pompon du grand n’importe quoi : Vu qu’ils ont un pote Rachid qui tient un café qui le dit tout le temps… Donc, ces gens qui n’ont jamais parlé l’arabe de leur vie sont capables de t’expliquer à toi que tu ne sais rien mais que eux si parce qu’ils mangent tous les premiers vendredis du mois un couscous royal avec boulettes, merguez, poulet chez Rachid.

    Je vous jure que j’ai vraiment eu droit à : « Si ton prénom veut dire écoute, c’est pote Rachid qui l’a dit »

    Avec eux, j’avais pour habitude de conclure en disant que mon frère s’appelait chouf et mes sœurs Aji et Scout : «  Et tu sais ce que cela veux dire : Regarde, Viens et Tais-Toi. »

    Après, je les voyais bouder dans leur coin en parlant tout seul : « Ah ben moi c’est Rachid qui me l’a dit. Blabla rooohhh blabli… »

     

    Je n’en veux à personne, j’en veux juste à mon prénom.

     

    On ne me comprend pas quand je dis que je veux le changer, c’est limite tabou. Mais bon sang, mon prénom est comme un sale pif au milieu de la figure ou une nana qui n’a pas de seins ou qui se trouve trop ronde. Mon prénom casse l’harmonie de mon ensemble.

    On pourrait penser aussi que je rejette mes origines, ma provenance, que j’ai honte mais rien de tout cela. Je ne l’aime pas, point.  D’autres personnes portent le même prénom et le vivent très bien.

     

    Et j’en suis sure, je ne suis pas la seule à ne pas aimer mon prénom mais chut faut pas le dire…

    ...

    Je tiens à dire que depuis l'édition de ce texte et avec tous les messages de soutiens et de témoignages que j'ai reçu, maintenant, je le prononce avec plaisir et même beaucoup de fierté et effectivement, c'est un très beau prénom... Alors, merci. 

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  • Aujourd'hui, dans "mon reflet dans le miroir", je vous raconte la vie d'une parisienne.

     

    Ce matin, je me suis levée dans le speed avec une sale tête, les yeux bouffis et le teint blanc. Mon mec m’a plaqué pour partir avec une autre et me l’a dit comme ça au téléphone. J’ai pleuré toute la nuit, j’ai même hurlé dans mon coussin à plusieurs reprises. Cela faisait que quatre semaines que nous étions ensemble et encore une fois j’y ai cru. Mes amies me conseillent qu’il ne faut pas se donner le premier soir mais je suis comme ça moi, je croque dans la pomme. Pourtant avec lui, je n’ai rien fait. Enfin presque…

    Je sors de chez moi et au pied de mon immeuble, il y a ce vieux Samir. L’épicier du coin. Il a cette façon d’être toujours heureux et d’aimer les gens. Toutes sortes de gens. Il a toujours le compliment facile, la phrase qu’il faut au bon moment. À croire qu’il a ouvert une épicerie que pour rencontrer ses contemporains. Je passe devant sa boutique, vois mon reflet devant la vitre de son magasin et me recoiffe.

    Il sort et me tend une pomme. Comme ça, cadeau, sourire au lèvre et un son accent du Maghreb « bonne journée jolie gazelle ». Je lui prends la pomme avec un sourire forcé : « Pfff, gazelle et en plus jolie mais n’importe quoi le type, il a bien vu ma tête ce matin. Il y a des gens qui sont capables de bien t’énerver de bon matin avec leur bonne humeur et je vais la foutre où cette pomme, j’ai un petit sac. »

    Pile poil à temps pour prendre la rame de 8 h 12. Flute, je n’ai pas pensé à prendre le journal gratuit. Mince, mince et remince, quarante cinq minutes à esquiver tous les regards pendant le trajet. Mais qui a inventé ce délire de ne pas se regarder les uns, les autres dans le métro. Si ton portable ne capte pas ou que tu n’as pas de lecture à part regarder tes pieds, t’as rien d’autres à faire. Ce n’est pas la fin du monde de se regarder entre nous. Et cette pomme là, je peux à peine me tenir.

     

    Allez hop, j’espère que le jamais deux sans trois n’est qu’une expression parce que ce matin au taff, c’est pas la joie. Il y a encore l’autre buse qui n’est pas là et moi je vais me taper tout le taff, toute seule comme d’hab. Mais pourquoi l’autre naze m’a jeté pour cette meuf. Bête à manger du foin en plus. Elle a bien caché son jeu celle-là avec son regard bovin, je ne me suis pas méfiée, j’ai rien vu venir. Et cette golden, qui trône sur mon bureau comme si elle n’avait rien d’autre à faire.

    La journée se termine, je sors du boulot en vitesse pour ne pas rater mon RER, je regarde ma montre, ça va je suis dans les temps. Peut-être dans les temps mais le troisième couperet de l’adage vient de tomber : Fin des transports suite à l’agression d’un conducteur. Je prends l’escalator pour sortir du lieu avant l’agression d’un autre conducteur que j’aurai moi-même violenté dans un coin sombre de la gare.

    Je rêve ou quoi, un mec voulant me dépasser, me bouscule et je sens le péché d’Eve m’échapper de la main puis la vois dévaler l’escalier roulant. L’horreur absolue ! L’autre, je vais l’appeler Samir le serpent. Je maudis la terre entière dans ma tête et puis mince ce n’est jamais deux sans trois et pas quatre ! Bien sur, tout les gens voient « rolling apple » rouler sa bosse mais personne n’a la présence d’esprit de la ramasser. I cant get no satisfaction !

    Miracle et soulagement, les astres ont changé de cible. Une belle femme chope l’objet de la tentation de sa main droite et me la montre fièrement avec un grand sourire. Je l’attends, elle me la rend : « faut la manger cette pomme, jeune fille » et finit sa phrase par un clin d’œil.

    Sur le chemin du retour, sa phrase me trotte dans la tête : « Manger la pomme », à la limite du blasphème. Et puis ouais, tiens, je vais la bouffer même mais pas n’importe où dans un beau parc avec de belles fleurs et de l’herbe bien verte et même s’il fait déjà nuit, je m’en moque. Elle va voir comment je vais la savourer, elle va rien comprendre. 

    Je trouve un banc au milieu de mes exigences. Je m’installe, enlève mon manteau et mon écharpe. Je pose mes coudes sur mes genoux, je la mets face à mon visage, louche sur elle et croque dedans. Ce qui s’en suit dépasse toutes les lois de la gravité, Newton tu n’es qu’un sale menteur : «  Je suis en apesanteur ». Légère, je relativise tout. Ce pauvre type qui m’a laissé pour Maggie la vache : « Meuh… Meuh », elles vont être sympa leurs discussions. Et cette collègue qui est toujours malade quand je ne suis pas au top, j’espère qu’elle n’a rien de grave, le conducteur du RER aussi. Bon ce n’est pas tout, il me reste encore une demi-heure de marche et après faut que j’appelle mes copines pour leur raconter ma vie quand même.

    Je me suis réveillée en forme ce matin. Je descends de chez moi pour me rendre au taff. Je vois mon reflet dans la vitrine de l’épicerie, me recoiffe toujours et encore. L’épicier sort de son officine et me lance : « Vous avez bonne mine aujourd’hui », je lui répond : « Et vous savez pourquoi Monsieur Samir Le Sage ? Parce que hier, j’ai mangé une pomme ».

     

     

    Hier, j'ai mangé une pomme

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  • Par Jézabel


    Il y a deux jours, mon adorable Jézabel m'appelle pour me demander de lire un texte qu'elle a écrit.
    Juste après sa lecture, je lui ai demandé si je pouvais le publier sur mon blog.

    Le voici, je vous laisse l'apprécier  

     

    Je ne suis pas un canon de beauté

     

    Hélas, non ! Je ne suis pas un canon de beauté. Pas que cela me gênait avant. Après tout on me trouve tout de même du charme, voir même jolie et on m’a dit quelque fois que j’étais belle.

    Mais je ne suis pas un canon de beauté. Aujourd’hui je crois que c’est là mon crime !

    J’ai été jeune, mais je ne le suis plus. Non pas que je sois proche de la fin, j’ai 40 ans.
    Doit-on dire « déjà 40 ans ! » ou « seulement 40 ans ! ». 

    Lorsque j’entends mes ainés,  c’est « seulement ». Pour les plus jeunes c’est « déjà !!!»… et assez souvent on me dit « ah bon ?!? » parce que, semble-t-il, je ne fais pas mon âge. Pourtant, pour les hommes de mon âge, j’ai « déjà 40 ans ?!? ».

    Parce que si je fais jeune pour certain, mon corps, lui, porte les vestiges de mon âge. Les seins qui tombent et abimés par l’allaitement, le ventre marqué par les grossesses, et les fesses qui ne sont rebondis que si on passe plusieurs heures par jour à les modeler.


    Je ne pensais pas que cela été si grave. Nous sommes toutes des femmes et la majorité d’entre nous vivent la même chose que moi.

    Mais quand j’entends l’homme qui partage ma vie, j’ai souvent l’impression que je devrais me cacher, avoir honte de moi et éviter autant que possible le ridicule en ne m’autorisant pas certaines tenues qui ne vont pas avec « ce » corps. Dans l’interprétation de ses propos, je suis délabrée, pas très digne d’intérêt (sexuel j’entends).

    Non pas que les mots soient francs et direct. Ce sont des insinuations diffusent, continuelles à l’image des gouttes d’eau qui tombent une par une dans un rythme lent et peu marqué.

    Et puis il n’y a pas seulement ce que l’on dit, il y a surtout tout ce que l’on ne dit jamais !

    Je me suis questionnée. Pourquoi ne me trouve-t-il pas « belle », ou au moins « jolie ». Pourquoi ne suis-je que « assez bien ».

    Quand on aime quelqu’un, et il dit m’aimer, ne doit-on pas le trouver le plus beau du monde. Ne doit-on pas gommer les imperfections par le correcteur de l’amour qui nous fait apprécier un ensemble parfait plus tôt que juste quelques détails ?

    Si je n’ai pas de réponse à la question, j’ai tout de même quelques pistes.

    La première est la plus commune, celle sur laquelle on s’entend tous : les tabloïds !

    La femme parfaite fait 1m75 (loupé !) 95 de tour de poitrine (encore loupé !) elle pèse 49 kg (loupé loupé loupé !) et doit rentrer dans une taille 34 (game over !). Ça c’est pour les critères de sélection du mannequinat.

    Mais il faut aussi qu’elle ait une peau lisse et parfaite, de grands yeux, de grandes jambes, des cheveux brillants et soyeux et ainsi de suite…

    Alors si, sur les premiers critères, il n’y a pas grand-chose à faire à moins de s’abstenir de manger, de se faire une mammoplastie, et un allongement des jambes, on ne rentre pas toutes dans cette norme et c’est la faute à pas de chance. On n’a simplement pas les bases !

    Autant sur le deuxième critère, on fait face à une arnaque photoshopée, maquillée, pulpée, lissée, voir complètement remodelée !

    Et quand t’as l’homme qui bave dessus à grand cris de « wah mais elle est super bien gaulée », je me demande si je vis sur la même planète que lui. (Moins une et il sortait son wistitit pour se masturber !).

    Mais je ne vais pas m’attarder sur cette première piste qui nous est, à tous, commune.


    La deuxième piste est plus spécifique. Elle s’adresse aux femmes comme moi, qui ont connu un divorce et ont refait leur vie.

    J’ai parfois entendu des hommes parler de leur épouse comme si elles étaient la 8ème merveille du monde. Magnifique, parfaite, grandiose, parfois on est à la limite de l’idolâtrie quand on y est pas totalement.

    Pourtant, ces femmes ont mon âge, mes caractéristiques. Elles ont des enfants aussi et, pour certaines, la grossesse a été moins clémente que pour moi.

    Et Pourtant ces hommes les regardent avec émerveillement, amour, envie, sensualité.

    Ils les trouvent belles, belles, belles. Belles comme le jour, belles comme un coucher de soleil, belles comme un levé de lune et leur corps, à les entendre, et le seul qu’ils ont envie de toucher, de caresser, le seul dont ils veulent jouir jusqu’à la fin de leur vie.

     

    Ce corps marqué ? Ces seins qui tombent ? Ce ventre strié ?

    Oui, ces seins qui ont allaité leurs enfants !

    Oui, ce ventre qui a porté leurs enfants !

    Oui, ce corps qui a donné la vie à leur progéniture.

     

    Ce n’est plus un corps, c’est un sanctuaire !

     

    Et moi, si j’ai donné la vie, je n’ai pas donné d’enfant à l’homme qui partage la mienne aujourd’hui.
    Il ne voit pas en moi la déesse que d’autres voient quand ils posent les yeux sur la mère de leurs enfants, et avec qui il forme un couple alchimique.

     

    Il ne voit qu’une fille. Ordinaire et peut être banal.

     

    Mon corps ne peut plus être ce sanctuaire à mon âge.

     

    Alors, si j’avais été un canon de beauté, celle qui émoustille ses sens par un simple regard posé sur un corps parfait, peut-être bien que je verrais dans ses yeux bruler la flamme du désir.
    Si j’avais été un canon de beauté, peut-être qu’il m’aimerait dans ses mots, dans ses caresses, dans ses baisers.

    Si j’avais été un canon de beauté, peut être que je me sentirais mieux. On est bien quand on se sent belle et désirée.

     

    Si j’avais été un canon de beauté, peut être aussi que je ne l’aurais jamais regardé !

     

     

    Merci ma poupée pour ce texte.

    En attendant que la douce et jolie Jézabel publie sur son propre blog, vous pouvez la suivre sur son compte twitter en cliquant sur ICI.

     

     

     


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  • Toujours dans le thème "reflet dans le miroir"... Un bout de la vie d'une femme à la vie simple.

     

    Petite, tout était parfait. J’étais la princesse de mes parents. Ils me chérissaient. Je me rappelle encore mon père dire à qui voulait l’entendre : « montre comme tu es jolie ma princesse ». Fièrement, je tournais sur moi-même pour montrer la robe que maman m’avait mise le matin.

    On peut dire que la vie m’avait gâté, mon papa était riche d’après ce que disait les gens mais jaloux, ça c’est ce que maman disait.

     

    Moi, je ne savais pas vraiment ce que cela voulait dire et puis quand on est petit, ce qui compte vraiment, c’est que nos parents nous aiment, qu’ils nous achètent des bonbons et des jouets et surtout qu’ils ne meurent pas dans un accident de voiture quand ils rentrent de chez tata Simone. Parce que j’ai déjà vu ça dans un film, l’autre jour. C’est bien connu, les papas et mamans partent en voiture pour manger chez des amis, nous on reste avec grand-père et grand-mère qui disent : « surtout, faites attention en rentrant la nuit ».

    Des fois, il y a un petit frère ou une petite sœur dans la voiture avec eux mais moi, je suis fille unique.

     

    Aujourd’hui, maman a pleuré toute la journée, hier aussi. Papa, il n’est pas là. Il travaille beaucoup et n’a pas le temps de rentrer, c’est tata Simone qui me l’a dit. Mais, je ne sais pas, je sens qu’on me ment parce que maman n’arrête pas de dire qu’il est avec sa pute. Je ne sais pas encore ce que cela veut dire, il paraît que je comprendrai plus tard. Tout ce que je sais, c’est que maman pleure et que papa, il travaille tard la nuit avec sa pute et qu’il ne dormira pas encore cette nuit à la maison.

     

    Je me suis réveillée tôt ce matin et comme pour le jour de noël, j’ai couru dans le salon parce que papa y était. La situation était bizarre. Maman n’était pas dans son état normal, elle criait beaucoup de gros mots, elle est même tombée deux fois. Papa l’a ramassé mais elle le frappait. Je voulais qu’elle arrête. Il m’a manqué à moi, mon papa.

    Depuis ce jour, je ne l’ai plus jamais revu.

     

    Maman quand elle se lève, elle boit un grand verre de snaps. Et repart dans son lit. Moi, je me prépare pour aller à l’école.  Je n’aime pas y aller. Les autres enfants disent que je suis sale et que je pue, c’est vrai. Depuis le départ de mon papa, maman ne fait plus rien, tout traine partout. C’est la voisine, celle qui me dit souvent : « la pauvre petite, la vie t’a souri et puis le malheur est tombé sur vous » qui me donne à manger, le reste de leur repas parce que je suis toute maigrichonne. Je ne l’aime pas, elle me fait toujours de drôles de remarques en ce moment. Elle me regarde et elle me dit de passer chez elle parce qu’elle a ce qu’il faut à la maison depuis que ses filles ont grandit. Tu dois être un petit A, qu’elle dit.

     

    Maman aussi, me parle bizarrement. Mais elle c’est normal puisqu’elle boit de l’alcool tous les jours. D’ailleurs, je n’ai jamais le droit d’ouvrir les rideaux parce que ça lui fait mal à la tête. Hier, je les ai ouvert dans ma chambre et quand elle a vu la lumière passer sous la porte, j’ai eu droit à une rouste. C’est la première fois que je me suis regardée dans le miroir pour de vrai, je regardais mon corps, je comptais les bleus. Maman a eu la main plus lourde que d’habitude.

    En regardant mon reflet j’ai compris que la vie avait passé son chemin.

    C’est marrant, mes seins commencent à pousser et même des poils sous les bras. Tiens, mon corps change comme avait dit la maitresse. Ça va peut-être faire revenir papa. Oui, je sais, c’est bête de penser ça mais maman a dit que de toute façon papa était un salaud qui n’aimait que les jeunes femmes et moi, je deviens une jeune femme.

    Par moment, je repense à ma vie avant le drame. Papa était rentré que pour récupérer ses affaires, je l’ai compris bien après.

     

    Ma vie continua ainsi jusqu’au premier jour de mes dix-huit ans. J’étais heureuse parce que j’allais être enfin une grande personne et que je pourrais tout comprendre comme on m’avait dit : « tu comprendras quand tu seras plus grande ». Je vais enfin comprendre pourquoi papa est parti, pourquoi maman me dit souvent que je suis une bonne à rien.

    Maman est morte ce soir-là, c’est ce qui l’a dit le pompier : « votre mère est morte ». En plus il paraît qu’elle a cassé un nanevrisme. J’ai cherché les morceaux sur le parquet mais je n’ai jamais rien trouvé. Je n’étais peut-être pas assez grande pour tout comprendre.

     

    Aujourd’hui, j’ai vingt et un ans, maman est morte depuis trois ans, je n’ai jamais revu papa et je regarde pour la deuxième fois mon corps dans le miroir, je viens de mettre bas, je suis maman à mon tour. Mes seins sont beaux, ils vont donner à manger au bébé. Ma voisine a pris l’enfant dans les bras et lui fait des bisous porte-bonheur. Je suis heureuse, le papa m’a offert des roses d’amour parce qu’elles sont rouges.

     

    En regardant mon reflet dans le miroir, j’ai compris que la vie ne m’avait pas oubliée.

     

    Nous, on est rentré à la maison quand l’infirmière a dit qu’il fallait rentrer. Moi, je n’avais plus peur parce qu’elle m’a montré tout ce qu’il fallait faire pour bébé. Je faisais tout comme elle avait dit. La maison est jolie mais on n’a plus d’argent pour la payer. Le monsieur qui nous prend l’argent m’a dit de passer chez lui, peut-être qu’il avait du travail pour moi mais qu’il fallait d’abord voir avec sa femme. C’est pour faire le ménage et à manger, qu’il a dit.

     

    Sa femme est belle, elle met du maquillage comme les actrices de mes films préférés. Elle sent bon aussi même si des fois ça me donne envie de vomir. Elle m’a dit un jour : « Ça vous dit de travailler dans un supermarché en tant que caissière », olala oui être comme ces femmes sur un tabouret avec une jolie blouse et le bip bip de la machine.

    J’ai vu le papa pour lui dire que demain, j’allais être caissière : « tu te rends compte. »

    Il m’a pris dans les bras et m’a fait tourner comme ça. Le papa est fier de moi.

     

    Les filles avec qui je travaille, ne m’aiment plus. Elles sont devenues mes hainemies. J’ai pourtant rien fait de mal, c’est le patron qui me dit que je suis belle et qui me demande comment va mon fils. L’autre jour, dans la salle pour manger, elles ont mis toutes leurs affaires sur les chaises libres pour que je ne puisse pas m’asseoir avec elle.

    Je suis triste de manger dehors, surtout en hiver parce qu’il fait froid. Le papa me réchauffe le soir, après ce n’est plus grave.

     

    J’ai trente sept ans et le fils m’a dit qu’il a mis sa copine enceinte. Ma voisine m’a dit que j’étais jeune pour être grand-mère. C’est vrai. Tata Simone m’a crié dessus parce que ce n’était pas normal. Je lui ai dit que c’était un bébé et que les bébés c’est toujours normal.

    Je regarde pour la troisième fois mon reflet dans le miroir et je me dis que la vie continue.

    Mes seins tombent un peu mais c’est normal quand on va être mamie, mon ventre est un peu moche. C’est les verges dures, qu’on m’a dit.

     

    Le médecin regarde les résultats, enlève ses lunettes et parle. Je dois être encore petite parce que je ne comprends pas son charabia, je sais juste que c’est grave. Ils ont tout fait, c’est ce qu’ils ont dit : « on a tout fait ». Alors, tata Simone m’a dit que quand je verrais le monsieur là-haut qu’il fallait lui dire la vérité et la voisine a hoché de la tête. Parce qu’il faut tout lui dire à ce monsieur le bon comme le mauvais.

    Ce matin, je ne savais pas quoi faire alors j’ai regardé pour la quatrième fois mon reflet dans le miroir et je dis au revoir à la vie mais je n’ai pas pu voir mes seins, je n’en avais plus.

     

    J’ai eu une vie simple mais heureuse, enfin c’est que je pense. Certains penseraient le contraire. Peut-être que eux ils disent ça mais moi, je n’avais pas d’autres exemples que la mienne. Et puis des gens comme moi il y en a pleins mais personne ne le sait, on ne s’intéresse pas à nous. Si à la télé, ils se moquent de nous et de notre misère comme ils disent : « t’as vu l’autre jour à la télé. »

    Je n’en veux à personne mais nous ne sommes pas des bêtes quand même.

     

    Je me rappelle le jour où dans la cuisine, tata Monique a fait tomber le gâteau d’anniversaire de la voisine. Moi, je mangeais du pain. On a rigolé, comme ça toutes les trois. C’était bien. Le papa est venu après, en nous voyant, il a rigolé aussi et nous on a rigolé encore plus parce que le papa fait des bruits bizarres quand il rigole. Qu’est-ce que j’ai eu mal au ventre. Et des jours comme ça où je mange du pain comme ça dans la cuisine et qu’on rigole, j’en ai eu pleins dans ma vie.

     

    Je suis partie, je n’avais pas envie. Tout ce que je sais c’est que quelque soit notre vie, il faut vivre avec.

     

    La fille à la vie simple...

     

     


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  • Je suis la dernière d’une famille de quatre enfants. Pendant longtemps, je pensais être en trop, que je n’avais pas ma place. J’avais toujours cette impression de marcher à coté d’eux.

    La plus jeune donc forcement je n’avais les mêmes jeux et les mêmes attentes que les autres. Ce sentiment qui m’était propre dura jusqu’à mes dix ans.

    Mon frère et mes deux sœurs m’aimaient et me le montraient. On s’amusait ensemble mais pas longtemps, au bout d’un moment je les saoulais.

    J’ai toujours eu cette impression de rien leur apporter ou leur apprendre. Normal, étant la benjamine, celle qui apprenait et ben c’était moi.

     

    Puis il y a eu ce jour, un dimanche matin j’avais dix ans. Comme à notre habitude, nous nous retrouvions tous devant les dessins animés et nos bols de céréales dans le petit salon, nos parents prenaient aussi le petit déjeuner dominical avec nous. C’était un moment convivial.

    Mon père avait pour habitude de lire son journal, Le Monde. Il y passait sa journée, j’adorais le voir concentré devant cette liste de mots écris en tout petit. « Il faut lire le journal mes enfants, c’est important ».

    Donc, ce dimanche matin, mon père récupère son journal fraichement acheté avec les pains chocolat. Nous avions mis  les clips à la télé et le trop de bruit le fit fuir dans sa chambre. Cinq minutes plus tard, mon papa et détail important était en pyjama, avait les cheveux hirsutes et la tête d’une bonne grâce matinée,  débarque dans le petit salon, l’air mi- hagard mi- inquiet, son  journal  grand ouvert devant lui et nous le montre comme s’il avait lu la pire des nouvelles de sa vie et nous balance tout de go, attendant une réponse logique : « On m’a volé la moitié du monde ! » 

    Bien sur, il parlait de son journal Le Monde mais moi, Je me suis prise un fou rire. Il surenchérit agitant à bout de bras sa feuille de chou : "Mais regardez, quelqu'un m'a volé la moitié du monde", je suis tombée de ma chaise en me tenant le ventre, je rigolais sans pouvoir m'arrêter. Je regarde ma mère et mon frère pour voir si mon hilarité les avait contaminé mais non , ils me regardaient inquiets comme si ça y est : « j’étais devenue folle alliée ». Pour leur faire comprendre ma soudaine euphorie je leur dis entre deux soubresauts : « On lui a volé la moitié du monde, ahana… et il a lu ça dans le journal ahahah... » Les trois se regardent, comprennent et nous voilà tous ensemble explosaient de rire.

     

    Ce jour là, j’ai compris que j’étais un membre à part entière de cette famille. J’ai pris confiance en moi d’ailleurs elle ne m’a jamais quitté. J’ai fait plus de sport, du rollers sur le parvis de Trocadéro à sauter les trois marches, les quatre puis les douze, à dévaler les rues à une vitesse folle, à me péter la figure, à avoir mal mais ça ce n’est que sur le moment, à me relever et à repartir, j’étais enfin libre. Cela m’a permis de me lâcher avec une espèce d’effronterie à toute épreuve. Je me suis mise à lire aussi, de plus en plus, à m’épanouir. Par contre, j’étais toujours aussi nulle à l’école mais je m’en moquais puisque j’étais vivante.

    Pour la première fois de ma vie, moi la benjamine, je leur avais apporté quelque chose : mon humour, ma réflexion, moi tout simplement. J'existais enfin.

     

    Comme cela s’est passé l'année de mes dix ans soit pour moi « la première année de mon existence », vu que je suis née en 77 donc si je prends un, que je retiens deux, à cela se rajoute un peu de relativité et que Pi, c’est plusieurs chiffres après la virgule, on peut dire alors que j’ai 27 ans et non 37. Hein ?

     

    Blague à part, des délits de compréhension qui m’ont fait rire toute seule, j’en eu pleins.

     

    Les membres de la famille de mon ex, sont des protestants ultra pratiquants. Je précise ultra parce que c’est prière matin, midi et soir avec ça une envie de convertir le monde (dont moi qui suis totalement athée). Un jour, la maman, revient avec deux beaux paniers chargés de mûres. Toute contente, elle me les montre et me dit qu’elle y retourne le lendemain. Je lui propose de venir avec elle, parce que j’adore manger les fruits sur « l’arbre ».

    Le lendemain, elle et son mari me regardent tout mielleux et me sortent : « on préfère aller au mur ensemble, histoire de se retrouver tout les deux ». Je les regarde bizarrement, ne comprenant pas de quoi ils parlent, je ne dis rien. Eux me regardent avec un grand sourire désolé.

    Je me dis : « tiens, ils ont aussi un mur comme pour les personnes de confession juive ? »

    Ils ont vraiment des pratiques particulières. Pour les juifs, je comprends mais pour des protestants, non là je ne vois pas.

    La semaine passe et la maman me reparle du mur, que c’était bien, qu’elle a passé un bon moment avec son mari surtout qu’ils ont encore quatre enfants à la maison (ils ont en huit en tout), qu’ils étaient seuls pour une fois, blablabi et blablabla… Et moi,pendant qu'elle me parlais, je les imaginais devant un mur tout haut avec des inscriptions bibliques et plein d’autres trucs.

    Et puis une nuit, genre un mois plus tard, je repense à cette histoire en me disant mais qu’elle cruche je suis… Elle me parlait de la cueillette des mûres.

     

    Pleins j’ai dit, j’en ai pleins des histoires comme ça.

     

    En fait, je n’ai pas trente-sept ans mais Vingt-sept…

    Moi et des amis au Trocadéro .
    On ne les voit pas mais j'ai mes rollers aux pieds
    Plus précisément des "quad" qui ne m'ont jamais quitté depuis. Ce sont mes précieux.

     


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